vendredi 24 février 2012

Marie Parent, la fille aînée de Pierre Parent et Jeanne Badeau - partie 2

David Corbin apprend le métier de son beau-père, Pierre Parent. Il devient boucher. Un quatuor de bouchers composé de René Brisson, David Corbin, Guillaume Guillot et Guillaume Jullien occupent les étals des bouchers du populaire marché de la Basse-Ville de Québec en 1678. Corbin a pris la place de Pierre Parent. En juin de la même année, René Brisson signe, au nom des autres bouchers, un bail de location de la boucherie de la Basse-Ville. Les quatre étals de boucherie seront loués 160 livres par année (1). L’entente fait long feu. Un mois après la signature du bail, les quatre associés conviennent de mettre fin à la société qui les lie (2).

Après deux ans d’efforts individuels, les quatre bouchers de la Basse-Ville tentent à nouveau de former une société. Le 25 mars 1681, René Brisson, David Corbin, Guillaume Guillot et Jean Mathieu, qui prend la place de Guillaume Jullien, conviennent, que pour une période d’un an, ils « tueront en Commerçant et travailleront esgallement a faire valloir la dite Boucherie » (3). Le contrat de société dure toute l’année mais ne semble pas avoir été renouvelé. Dans le recensement de 1681, les bouchers de la région de Québec identifiés avec ce titre sont René Brisson, âgé de 46 ans, Jacques Boissel, âgé de 80 ans, Guillaume Guillot, âgé de 38 ans; à la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Étonnamment, le recensement de 1681 passe sous silence le métier pratiqué par René Brisson et Jean Mathieu. Il en est de même pour Pierre Parent et, à la Petite Auvergne, dans la même seigneurie, pour David Corbin, âgé de 37 ans.

En janvier 1684, Jean Mathieu et David Corbin s’entendent pour exploiter en commun leur boucherie pour une période de deux ans (4). Tout en signant ce contrat avec Corbin, Mathieu est déjà associé avec René Brisson, entente qu’il annulera le 7 mars suivant (5). Malheureusement pour la société Mathieu-Corbin, un des deux associés meurt prématurément. David Corbin rend l’âme le 19 août 1684.

Cinq enfants sont nés du mariage entre David Corbin et Marie Parent. Marie Parent se remarie rapidement. Avec quatre jeunes enfants sur les bras, Marie ne reste pas veuve très longtemps. Son fils cadet, prénommé David, est né le 10 février 1684. Le 5 février 1685, Marie Parent unit sa destinée à celle de Joseph Rancourt, à Beauport. Il semble que Rancourt n’a pas seulement remplacé David Corbin dans le cœur de Marie Parent mais aussi comme associé de Jean Mathieu. En effet, le 22 juillet 1685, Mathieu et Rancourt achètent de Gabriel Gosselin, de l’île d’Orléans, trois jeunes bœufs valant chacun la somme de 60 livres, deux vaches à 40 livres chacune et vingt moutons au prix de 8 livres chacun (6). En 1687, Mathieu et Rancourt dépose le bilan de leur société (7). Par la suite, Rancourt abandonnera la pratique de la boucherie et se tournera vers la charpenterie de navire, métier qu’il exercera jusqu’à la fin de sa vie.

Au cours de ce second mariage, Marie Parent donnera naissance à neuf enfants. Marie est inhumée le 6 décembre 1700, à Québec.

Le sixieme jour de decemb mil sept Cents a esté Inhumé dans le Cimetiere de Cette paroisse par moy soussigné ptre du seminaire de Quebec faisant les fonctions Curiales Marie parent femme de Joseph Rancourt agée de
Apres avoir recu les Sacrements de penitence viatique et extreme onction en presence de Jaque Michelon et Jean Brassar
                    Pocquet ptre
Joseph Rancourt, âgé d’environ 50 ans, se remarie avec Françoise Daveau, une jeune fille de 21 ans, le 18 septembre 1701, à Château-Richer. De cette union naîtront huit enfants, mais seulement trois atteindront l’âge adulte. Au recensement de la ville de Québec de 1716, la famille Rancourt habite la Basse-Ville. Selon ce recensement, elle est composée de Joseph, le père, âgé de 60 ans, de son épouse, âgée de 34 ans, et de trois garçons, Charles, 13 ans, Jean-Baptiste, 11 ans, Claude 1 an, et d’une fille, Barbe, 9 ans. Joseph Rancourt meurt le 21 mars 1719, à Québec. Dans l’acte de sépulture, on le dit âgé de 60 ans. À la lumière de ces informations, on constate qu’il est difficile de connaître l’âge exact de Rancourt.

1. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 9 juin 1679.
2. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 23 juillet 1679.
3. BAnQ. Minutier de Pierre Duquet, le 25 mars 1681.
4. BAnQ. Minutier de Pierre Duquet, le 24 janvier 1684.
5. BAnQ. Minutier de Michel Fillion, le 7 mars 1684.
6. BAnQ. Minutier de Pierre Duquet, le 22 juillet 1685.
7. BAnQ. Minutier de Pierre Duquet, le 26 mars 1687.

vendredi 17 février 2012

Marie Parent, la fille aînée de Pierre Parent et Jeanne Badeau - partie 1

Le 25 novembre 1655, Jeanne Badeau devient mère pour la première fois; elle met au monde une petite fille. Le père Paul Ragueneau l'ondoie le jour même de sa naissance. Le 5 décembre suivant, sa naissance est portée aux registres de la paroisse de Notre-Dame-de-Québec.
Acte de baptême de Marie Parent
L'an de grace 1655 le 25 novembre naSquit un Enfant femelle du mariage de Pierre Parent et de Jeanne Badeau qui fut ondoyée par le r.p. Paul ragueneau le même Jour; depuis apporté en cette paroisse i e Hierosme Lalemant y faisant fonction de Cure luy ay conferé les Ceremonies; le nom de Marie luy a eSté donné; les parains ont eSté le Sieur de la Fontaine e Marie Couillart femme du sieur Buissot e ce le 5e de decembre.
En 1670, Jeanne est enceinte et va bientôt accoucher, et sa fille aînée veut absolument se marier. Un voisin, David Corbin, a fait la grande demande. Le 13 février 1670, devant Paul Vachon, le futur marié et les parents de Marie acceptent les clauses du contrat de mariage qui régira leur union. Dans ce contrat, Pierre et Jeanne promettent de donner la somme de 300 livres tournois en avance d'hoirie aux futurs mariés (1). Cinq ans plus tard, David Corbin donnera quittance de cette somme à ses beaux-parents (2). Jeanne accouche deux semaines plus tard. Le 27 février, elle met au monde sa deuxième fille qui sera baptisée du prénom de Geneviève, à la chapelle de Beauport, le 2 mars suivant.

Marie n'a que 14 ans et ses parents la considèrent encore trop jeune pour prendre époux. Même si le contrat de mariage est signé, ils lui demandent d'attendre d'avoir 15 ans révolus avant de célébrer le mariage. Marie Parent n'attendra pas un jour de plus que le 25 novembre 1670. La journée même de son quinzième anniversaire, elle convole à l'église de Notre-Dame-de-Québec. Le mariage d'une si jeune fille cadre parfaitement avec la politique royale qui encourage le mariage des filles à un jeune âge et les exhorte à mettre au monde le plus d'enfants possible (3).
Édits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du conseil d'état du roi concernant le Canada (12 avril 1670)
[…] en considération de la multiplicité des enfants et pour les porter au mariage, Sa dite MajeSté, étant en Son ConSeil, a ordonné et ordonne qu'à l'avenir tous les habitants du dit pays qui auront juSqu'au nombre de dix enfants vivants, nés en légitime mariage, […] feront payés des déniers que Sa MajeSté envoyera au dit Pays d'une penSion de trois cents livres par chacun an, et ceux qui en auront douze de quatre cents livres;
[…] Veut de plus Sa dite MajeSté qu'il soit payé par les ordres du dit Intendant à tous les garçons qui Se marieront à vingt ans et au-deSSous, et aux filles à Seize ans et au-dessous, vingt louis pour chacun le jour de leurs noces; […] et qu'il soit établi quelque peine pécuniaire, applicable aux hôpitaux des lieux, contre les pères qui ne marieront point leurs enfants à l'âge de vingt ans pour les garçons et à l'âge de Seize ans pour les filles.
Les familles Parent et Badeau s'inscrivent dans cette volonté politique de la métropole, puisque Suzanne Badeau s'est mariée à l'âge de 13 ans et 10 mois et Marie Parent doit attendre de célébrer son quinzième anniversaire avant de convoler. Elles ne font qu'imiter leurs jeunes concitoyennes nées au Canada qui se démarquent par la grande précocité de leurs mariages; on estime que près des deux tiers d'entre elles se marient avant 15 ans (4). Deux ans plus tôt, Colbert proposait des mesures encore plus énergiques : il souhaitait doter les garçons afin d'encourager leur mariage (5).

1. BAnQ, Minutier de Paul Vachon, le 13 février 1670.
2. BAnQ, Minutier de Paul Vachon, le 9 décembre 1675.
3. Robert Shore Milnes, Édits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du conseil d’état du roi concernant le Canada, vol. I, Québec, 1803, p. 57-58.
4. Hubert Charbonneau, Bertrand Desjardins, André Guillemette, Yves Landry, Jacques Légaré, François Nault, avec la collaboration de Réal Bates et Mario Boleda, Naissance d’une population. Les Français établis au Canada au XVIIe siècle, Les Presses de l’Université de Montréal et les Presses universitaires de France, Travaux et Documents, Cahier no 118, 1987, p. 73.
5. Rapport des Archives de la province de Québec 1930-1931, p. 95. Lettre du ministre Colbert à Talon.

vendredi 10 février 2012

Les testaments de Jeanne Badeau

À l'automne 1702, Jeanne Badeau tombe malade à tel point qu'elle croit sa dernière heure proche. Elle juge préférable de faire son testament. Antoine, le dernier-né de la famille qui est encore célibataire, prend soin de sa mère. Le 8 octobre, celui-ci fait appeler le notaire Jean-Robert Duprac qui se rend chez Jeanne Badeau;. Dans un très court testament, Jeanne donne la plus grande partie du peu d'objets qui lui restent à quelques-uns de ses petits-enfants. Elle termine ses recommandations en donnant une vache à son fils Antoine pour le remercier « pour les soins quil a eu de la dite testatriSSe »(1).

Parmi les clauses du testament, citons: 

[…] Item faict testament a anthoine Parant Son fils de Son lict, un lict de plume traversin deux draps, une couverte Et le toit du lit.
Item faict testament a Genevieve langlois Et a Jeanne baugis Ses petites fille de toutes ses hardes et Juppe Six chemise Et autres vieilles ardes.
Item faict testament a Jean marie fils de Charles parant son petit fils quatre Serviette ouvrée Et la moitié d'une nappe aussy ouvrée.
Item faict testament a Marie Chevalier Sa petite fille quatre serviettes ouvrée Et la moitié d'une nappe ouvrée pour une fois payé
Item ordonne qu il soit donné a Joseph parant Son petit fils une vache ou quarante livres une fois payé […].
Heureusement, il s'agit d'une fausse alerte. Jeanne se remet de sa maladie et peut reprendre sa vie active.

Au cours de l’année 1706, sa santé décline. L'été passe mais elle sent ses forces l'abandonner. Le 18 novembre, elle demande qu'on aille chercher le notaire Duprac; elle veut refaire son testament. Le notaire écrit que Jeanne est « GiSSant au lict malade dans la dite maison En une chambre, Saine d'esprit memoire et Entendement ». Elle dicte ses dernières volontés. Il lui reste peu de biens à léguer. Elle lègue la somme de 100 livres au curé de sa paroisse pour des services et des messes basses à son intention et des sommes de 10 livres respectivement aux récollets, à la Congrégation de Québec et à Notre-Dame-de-Lorette pour qu'ils prient Dieu pour le repos de son âme. Elle donne à son fils Antoine « Son lict garni de deux draps un traversin une couverte et un toit de lict. » et souligne qu'on lui doit une somme de 50 livres associée à la succession de son père et de leur maison de Québec. Jeanne rappelle aux siens l'existence de son fils Claude en demandant que lui soit remise sa part de la succession de son mari et sa part des revenus de la maison de la Basse-Ville de Québec. Claude Parent a quitté la Nouvelle-France pour se fixer dans la région de Mobile, sur le golfe du Mexique. Cette région fait partie du territoire de la Louisiane. Enfin, elle nomme son ami Michel Lagrange à titre d'exécuteur testamentaire. 

Le lendemain, le notaire Duprac retourne chez Jeanne Badeau. Elle donne quittance finale à son fils Charles d'une somme de 300 livres en déduction de la somme de 4 200 livres engagée le 30 janvier précédent (2).

Jeanne Badeau ferme les yeux pour la dernière fois le 22 novembre 1706 et est portée en terre le lendemain.

1. BAnQ. Minutier de Jean-Robert Duprac, le 8 octobre 1702.
2. BAnQ. Minutier de Jean-Robert Duprac, le 18 novembre 1706.

vendredi 3 février 2012

Les Anglais devant Québec en 1690

Les événements de l’automne 1690 contribuent brutalement à rappeler aux habitants de la Nouvelle-France la fragilité de leur situation. En octobre, une flotte anglaise remonte le fleuve Saint-Laurent. Le mandataire des colonies de Massachusetts et de New York, William Phips, qui avait quitté Boston le 20 août, se présente devant Québec à la tête d'une flotte. Il veut chasser les Français de la Nouvelle-France. Les vaisseaux anglais jettent l'ancre devant la baie de Beauport le 16 octobre.

À Québec, quand la rumeur se répand qu’une flotte anglaise remonte le fleuve, on envoie un émissaire à Montréal pour alerter le gouverneur Frontenac. Frontenac avait quitté Québec en juillet. Frontenac écrit le 12 novembre suivant:
[…] je ne laissai pas d'arriver à Québec le 14 octobre, à 10 heures du matin, où j'appris que les ennemis […] étaient à sept lieues de Québec.
[…] le lundi (le 16 octobre), à l'aube du jour, ils doublèrent la pointe de Lévy et parurent à notre vue et dans notre rade au nombre de 34 voiles, dont il y avait 4 gros vaisseaux […] (1).

La situation est grave. La défense s'organise. Les habitants des quartiers de la Basse-Ville de Québec abandonnent leurs maisons. Phips somme Frontenac de capituler avant d’engager une vaine bataille On connaît cette célèbre réplique de Frontenac à l’émissaire anglais porteur d’une demande de reddition : « […] Je n’ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusil […] »(2).

L'offensive anglaise connaît des ratés et piétine. Après avoir canonné la ville sans trop de succès, les Anglais tentent un débarquement. Ils choisissent le lieu connu sous le nom de la Canardière, c'est-à-dire non loin de la terre de Pierre Parent, à la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Même installés à terre, la situation des envahisseurs ne s'améliore pas. Par exemple, une quarantaine de séminaristes, sous les ordres de Nicolas Juchereau de Saint-Denis, réussissent à s'emparer de six canons ennemis placés sur les battures de Beauport. Rapidement désorganisés et voyant la saison avancée, les Anglais rembarquent dans la nuit du 21 au 22 octobre et s'en retournent, déconfits.

Québec l’a échappé belle. L’alerte a été vive. Pierre Parent et les siens ont vu des troupes anglaises piétiner le sol de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges et ses habitants ont entendu les détonations des mousquets des combattants embusqués dans leur voisinage et le vacarme des canons qui pilonnaient Québec.

Après avoir repoussé les Anglais, la population de Québec célèbre la « Fête de la victoire » le 5 novembre, et on donne le nom de Notre-Dame-de-la-Victoire à une église en construction depuis 1688 et qu'on achèvera bientôt. L'alerte passée, les habitants de la région recommencent à s'activer.

L'attaque anglaise sur Québec donne l'occasion à Robert de Villeneuve, le cartographe du roi, d'illustrer cette action. Ce faisant, il reproduit les détails de la partie de la côte de Beauport correspondant à la partie sud de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges, identifiant les emplacements habités et leurs propriétaires. La carte de Robert de Villeneuve procure une précieuse information généalogique sur les habitants de cette seigneurie en 1690. Sur sa carte, chaque emplacement est numéroté à partir de la rivière Beauport jusqu'à l'embouchure de la rivière Saint-Charles et, dans la légende, on trouve le nom des propriétaires associés aux numéros des emplacements. De plus, on identifie les habitants du lieu nommé le « Petit Village ».
Liste des habitants de la côte de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges en 1690 selon la carte de Robert de Villeneuve

1. Château de Beauport où l'on prend la pierre pour bâtir
2. Pierre Parent père
3. Jacques Parent
4. Maison des Jésuites
5. Pierre Parent le fils
6. Veuve de Mathieu Choret
7. Michel Huppé
8. M. de La Durantaye
9. La veuve de Paul Chalifou
10. M. de Vitray
11. François Retor
12. Mademoiselle Denis
13. Étienne Lionnois
14. Timothée Roussel
15. Jean Le Normand
16. M. Charon où est la briqueterie
   
Les habitants du « Petit Village »
   
17. Joseph Rancourt
18. André Coudray
19. Jean Le Normand
20. M. de Saint-Siméon

1. Correspondance de Frontenac avec la Cour de France, 1672-1682, 1689-1698, lettre du 12 novembre 1690, Québec, 1929..
2. Relation par Charles de Monseignat de ce qui s'est passé de plus remarquable au Canada depuis le mois de novembre 1689 jusqu'au mois de novembre 1690. Archives nationales d'outre-mer (ANOM), COL C11A 11/fol.5-40. [En ligne: http://bd.archivescanadafrance.org/acf/search-acf.xsp]
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